Les translittérations sont généralement celles des textes sources -- Patrick Fermi baci - ບາສີ / sou khouan - ສູ່ຂວັນAu Laos, pays du million d'éléphants et du parasol blanc, le baci est l'une des fêtes (boun) les plus populaires. Communément appelé sou khouan - ສູ່ຂວັນ, le baci est une cérémonie du rappel des âmes dont le sens ne peut être approché hors du système de représentations collectives de la culture lao. Il faut cependant rappeler que la société laotienne est extrêmement composite. Le groupe Thaï auquel appartiennent les Lao Loum représente environ 55 à 60%% de la population. Il faut rester réservé sur les notions mêmes de catégories ethniques car s'il est admis que la population laotienne est composée de plusieurs dizaines d'ethnies, certaines dénominations ne sont que descriptives. Par exemple, les distinctions entre les Lao Loum, les Lao Theung et les Lao Sung ne se réfèrent en réalité qu'aux territoires : Lao des plateaux, Lao des plaines, Lao des sommets. Le sou khouan concerne principalement les Lao mais encore faut-il rappeler que si ceux ci sont majoritaires au Laos, la plus grande partie d'entre eux vit au nord de la Thaïlande. Cette cérémonie est organisée autour d'évènements particuliers comme le Nouvel An ou le mariage mais aussi pour un enfant qui vient de naître, pour un malade qui vient de guérir, pour la visite d'un dignitaire, pour un voyage à entreprendre etc. D'une certaine manière le baci exprime ou crée les conditions favorables pour des souhaits de santé, de bonheur, de prospérité. « Le jour faste est choisi, et l'heure. La maison a confectionné un phakouan.[1] C'est un plateau surmonté de coupes ô et de khan (plateaux plus petits) sur lesquels sont piqués des cornets de feuilles de bananier remplis de fleurs. Au sommet, comme un panache de joie, un cornet plus grand dresse sa chevelure de fleurs des champs, fièrement enfilées sur de petites tiges en bois. En outre, le phakouan contient alcool, œufs, gâteaux, riz, argent, cierges et fils de coton. Alors les parents arrivent, apportant qui des phakouan semblables ou plus petits, qui de simples coupes, remplis de riz et de fleurs... » Thao Nhouy Abhay [2] L'officiant s'adresse ensuite aux divinités puis à l'âme et exprime enfin les souhaits. Il le fait face à la personne à honorer. Quelqu'un vient attacher à son poignet une cordelette de coton et lui-même répète le rite sur le poignet de la personne pour laquelle on a fait le soukhouan. Cette cordelette doit être portée le plus longtemps possible. les âmes - khwan - ຂວັນPour comprendre le baci et plus précisément l'appel aux âmes, il est nécessaire de savoir que dans la pensée lao le corps est composé de trente-deux parties possédant chacune une âme [3]. Ces âmes ont une propension naturelle à s'échapper, à quitter leurs « habitacles » et éventuellement à subir les influences des phi, ensemble d'invisibles reliés à des lignées, des revenants, des villages, des arbres, des rivières etc. Ces échappées, voire ces pertes d'âmes ou vols, sont à l'origine de certaines maladies et plus généralement d'infortunes. Le chamanisme classique se comprend d'ailleurs dans le cadre d'une telle conception. L'appel d'âme que fait l'officiant dans le baci ou soukhouan vise à cette intégration. Ainsi sont rappelées l'âme de la tête qui peut être au ciel Akalita, l'âme des jambes etc. « Venez ô âmes, venez par le sentier qu'on vient d'ouvrir, par la piste qu'on vient de balayer ; Revenez chez vous ; Passez à gué si vous avez de l'eau jusqu'à la poitrine ; Passez à la nage si le fleuve est plein ; Quand vous arrivez au raï, ne vous cachez pas dans les paillotes ; Quand vous arrivez à la souche d'arbre, ne vous reposez pas en y posant la tête; N'ayez pas peur quand vous approchez ; N'ayez peur ni des génies, ni des fantômes. Venez ô âmes : si vous avez mangé avec les Phi, il faut rendre ; Si vous avez chiqué avec les Phi, il faut cracher ; Il vous faut revenir le ventre vide, revenir manger le riz avec votre oncle, revenir manger le poisson avec votre aïeul. » Autres formes d'appel : « Venez, o khouanes bien-aimés, vous qui êtes partis servir les divinités célestes, Et vous, qui êtes retenus dans les profondeurs de l’enfer Aveci ! Ne demeurez pas ainsi au pays des phis ! Ne demeurez pas dans les monts et les bois ! Venez à la maison prendre votre part de riz sur le plateau ! Venez à la maison prendre votre part de poisson dans la coupe ! Venez à la maison et puisez l’eau de la cuvette ! Venez, o khouanes demeurant dans la jungle; méfiez-vous des phi phon ! O khouanes qui demeurez dans les champs, craignez que les buffles ne vous encornent ! O khouanes qui demeurez sur les hauteurs, craignez que les termites ne grimpent sur vous ! O khouanes demeurant dans les arbres, redoutez les bêtes sauvages ! Venez, o khouanes ! Lorsque vous serez parvenus dans les champs, ne butez pas sur les touffes d’herbe ! Quand vous aurez atteint les rizières, ne vous heurtez pas aux souches de riz ! » **************** « Revenez dès aujourd'hui, âmes qui êtes allées naître dans le village inhabité, chez les serpents à deux queues, chez les déesses à deux chignons ; Ne vous attardez pas en chemin, ni chez les Phi, ni dans les montagnes ; revenez dans votre maison, votre maison bâtie en planches lisses, couverte de drue paillote, dont les pilotis et les charpentes ont été traînés par de grands éléphants; Revenez dans cette vaste demeure où vous ne manquerez de rien, où ne vous maltraiteront ni oncles, ni parents, où tous vous aimeront comme or, et vous chériront comme pierres précieuses ; Revenez, placez-vous devant le phakouan et restez chez vous désormais. » **************** Après l'appel aux âmes viennent les formulations de souhaits et comme nous l'avons déjà noté l'attachement de la cordelette qui, en « fermant », permet de contenir les âmes vagabondes. Le baci se termine généralement par un ngan, fête, veillée ou cour d'amour. bref aperçu sur les phiCette cérémonie, Georges Condominas [4] la rattache au culte des Phi ( sâsanâ phî - ສາສນາຜີ ) et plus généralement encore à tout un système de représentations recomposé par le bouddhisme. Cependant, comme le note Richard Pottier, il y a à peine quelques dizaines d'années, « le terme sâsanâ était applicable aux religions universelles mais il n'était jamais utilisé pour désigner le culte des génies. »[5] Cette remarque n'est pas sans importance car les pratiques et les croyances quotidiennes ne se laissent pas enfermer dans les diverses constructions élaborées par les ethnologues classiques. Ainsi, il est difficile de traduire Phi - comme d'ailleurs Neak ta au Cambodge -. Il nous paraît préférable d'essayer d'appréhender phénoménologiquement un ensemble composé d'acceptions diverses telles que génie tutélaire, âme des défunts, esprit malfaisant, génie de la nature etc. Dans le glossaire de Richard Pottier, les variations de phî s'étalent sur plus de deux pages. quelques exemples illustrant la diversité : phî bâ - épileptique - fou -, phî bân - génie protecteur d'un village -, phî kaung kauy - génie maléfique de petite taille qui dévore les entrailles -, phî thèn - les génies célestes -, phî pâup - le sorcier imaginaire -, phî phây - l'esprit d'une femme morte enceinte ou en couches -. Le travail soutenu de Richard Pottier montre à l'évidence que la classification suggérée par Henri Deydier [6] en 1952 n'était que sommaire même s'il revenait à ce chercheur d'avoir dévoilé la richesse et la complexité de la culture laotienne. errants : | des maisons | des parents | de village | des morts anormales | Phi Pho / ຜີ ຟ້າ | Phi Heuan | Phi Mè | | Phi Phetu | sans tête | portent les cercueils | qui possède | | | Phi Houa Kout | Phi Kong Long | Phi Pop / | Phi Phong | Phi Kong Koi |
maladies et infortunesLe baci, et surtout les représentations culturelles sur lesquelles il est fondé, illustrent des conceptions étiologiques et thérapeutiques présentant des décalages manifestes d'avec nos conceptions médicales et psychologiques occidentales. Il y a d'abord la question de la définition même de la notion de maladie. Les « troubles » que nous classons dans la catégorie Maladie peuvent être classés dans d'autres aires culturelles dans une sorte de catégorie Infortune - malheur. Il serait naïf et inconséquent de rejeter ce décalage dans le rayon des conceptions archaïques en prétextant que notre nosographie possède une validité scientifique. Par quelle logique plaçons-nous la varicelle et l'hystérie dans le même ensemble ? Sommes-nous certains que notre DSM (et upgrade) ait été conçu sans empreinte culturelle ? Épistémologiquement, la statistique n'est pas un savoir mais seulement un outil mathématique. L'analyse la plus approfondie des composants d'un téléviseur n'expliquera en rien la nature d'un film qui y est projeté. Le mythe d' Œdipe nous décrit-il un malade ? Il y a ensuite la question du modèle étiologique. Le baci montre la prépondérance d'une structure soustractive (la perte de quelque chose) alors que la plupart de « nos maladies » sont comprises dans une structure additive. Un virus ou le complexe d'Œdipe sont en moi, en surplus. Aucun modèle n'est « pur » bien entendu : nous connaissons aussi des maladies par carence, par pertes diverses et les laotiens répertorient aussi des maladies par addition. Il n'empêche que les modèles étiologiques et surtout thérapeutiques peuvent être en opposition dans l'esprit des patients migrants, surtout si les soins prodigués le sont sans considérer la personne et ses étayages culturels. Patrick Fermi Documents connexes : - Voir l'article : Tradithérapies : thérapies ou pas ? - Les composants de la personne humaine au Việt Nam A noter : (même si aucune mention ne précise le ou les auteurs des textes) Site conséquent et documenté sur le Laos, dont Traditions et coutumes . Encore plus complet et riche d'implications affectives :laosmonamour |